LA LIBERTE D'ENTREPRENDRE
En France, les législateurs considèrent
abusivement (cf. rappel de l’article 4) que la liberté d'entreprendre découle
de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et qu'il
est loisible de lui apporter des limitations justifiées par l'intérêt général
ou liées à des exigences constitutionnelles. Par suite, il incombe au
législateur, en fixant les règles tendant à la préservation du caractère
pluraliste des courants d'expression socioculturels, de veiller à ce que leur
application ne limite pas la liberté d'entreprendre dans des proportions
excessives au regard de l'objectif constitutionnel du pluralisme.
Je rappelle l’article 4 de la Déclaration de l’Homme
et du Citoyen :
La liberté consiste à pouvoir
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels
de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la
Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être
déterminées que par la Loi.
« La liberté, ce n'est pas de
pouvoir ce que l'on veut, mais de vouloir ce que l'on peut »,
disait Jean-Paul Sartre
L'économie libre, c'est
l'économie de la confiance et la confiance n'exclut pas le contrôle, la
transparence, preuves de la responsabilité. Si la libéralisation de l'économie
doit être poursuivie, elle doit s'accompagner du développement d'outils de
contrôle capables de démontrer le respect de règles qui encouragent l'esprit
d'initiative. Cette
responsabilité de l'entreprise ne s'exerce pas seulement envers les
institutions nationales ou internationales mais aussi envers les actionnaires,
clients, fournisseurs et salariés de l'entreprise.
Le 12 janvier 2002, le Conseil constitutionnel a censuré la définition des
licenciements économiques figurant dans la loi de modernisation sociale adoptée
le 19 décembre 2001 par le Parlement. Prenant en compte l'émotion de l'opinion
face aux affaires Renault Vilvorde, Michelin, Danone, Marks & Spencer, la
nouvelle définition figurant dans la loi visait en effet à s'opposer aux
licenciements de convenance boursière. S'inscrivant dans la défense d'un droit
fondamental, le droit au travail, elle restreignait le pouvoir exorbitant
d'actionnaires décidant de fermer une entreprise non pas parce qu'elle perdait
de l'argent, mais parce qu'elle n'en gagnait pas assez !
La liberté
d'entreprendre inclut désormais la liberté de licencier pour convenance
boursière !
ATTAC, à juste titre, s’élève, le 15 janvier 2002 contre cette
décision qui interprète de manière
spécieuse l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
cité ci-dessus (où il n'est nulle part fait mention de la "liberté
d'entreprendre"). ATTAC affirme que la loi en question "conduit le
juge (...) à substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise", le
Conseil constitutionnel conforte l'idée que l'entreprise, et singulièrement le
chef d'entreprise, seraient au-dessus des lois.
Saluée
bruyamment par le Medef, cette décision va au-devant des désirs de toutes les
forces qui, en France et dans le monde, affirment et mettent en pratique la
thèse selon laquelle les intérêts de la finance
doivent primer sur toute autre considération, en
particulier celles de la démocratie et des droits sociaux.
Comme le
dit ATTAC, cette décision scandaleuse peut aussi susciter des réflexions sur le
rôle et la légitimité d'une institution théoriquement chargée de veiller à la
constitutionnalité des lois, mais dont le comportement n'apparaît pas étranger
aux nominations de ses membres par des politiques : 3 par le président de la
République, 3 par le président du Sénat et 3 par le président de l'Assemblée nationale.
Notons que 7 des 9 membres du Conseil qui a statué sur la loi de modernisation
sociale ont été désignés par des personnalités de l'opposition de l'époque, actuelle majorité.
Cette
tournure que prend la libre entreprise, qui floue le salarié et fragilise la
démocratie, explique, en bonne part, l’échec référendaire, en France, du TCE.