Je ne puis résister à publier l'article ci-dessous paru dans "Libération", un journal qui ose braver les censures et me permet de rompre avec ma propre autocensure car j'aurais pu dire le scandale éprouvé quand j'ai su que le Président de la République laïque se rendait au dîner offert par le CRIF à un moment où Israël est accusé de crimes contre l'humanité suite à sa guerre contre les Palestiniens et exploite honteusement les colonies illicites au point qu'un mouvement populaire se crée pour demander le boycott des produits commercialisés par Israël..
Lorsqu’on se gargarise aujourd’hui en haut lieu ou
dans les médias de communautarisme, on ne pense guère qu’aux Arabo-musulmans.
Loin de toute langue de bois, disons clairement que ce mot est devenu synonyme
de «musulmans». C’est vers eux que, du voile à la burqa en passant par l’identité
nationale, tous les regards sont tournés, dans un pays pourtant laïc comme la
France. Objet de cristallisation, comme les juifs l’ont été dans le passé, la
nationalité française de nombre d’entre eux passe au second plan après leur
religion. En revanche, lorsque le Conseil représentatif des institutions juives
de France (Crif) organise son dîner annuel et qu’il lance des fatwas contre les
uns et les autres, quand les politiciens de tout bord, y compris le Président
et le Premier ministre, y accourent, personne n’ose parler de communautarisme.
François Fillon est allé jusqu’à dénoncer ledit communautarisme lors de ce même
dîner, au prétexte qu’il «refuse légalité et la fraternité». Il faisait bien
sûr référence au communautarisme musulman. Et pourtant, tous les ingrédients
sont réunis pour parler aussi de communautarisme juif. Cette année, comme l’an
passé, les mesures d’ostracisme ont visé le PCF et les Verts, au motif de leur
campagne de boycott des produits israéliens. Comble de l’horreur, certaines
municipalités communistes auraient fait citoyen d’honneur Marwan Barghouti, l’un
des responsables du Fatah, en geôle à vie en Israël. On en vient à se demander
si le Crif n’est pas plutôt le porte-parole d’Israël en France, comme une
seconde ambassade de ce pays. Il y a un siècle, ce qui aurait passé pour de la
double allégeance s’appelle aujourd’hui soutien à Israël. Parce que les juifs
de France collent, paraît-il, à la ligne politique d’Israël, quelle soit de
gauche ou de droite, leurs institutions, dont le Crif, ne feraient que suivre
le mouvement. Les voilà tous légitimistes. Après la victoire d’un Nétanyahou et
de ses alliés en Israël, on ne s’étonnera donc pas de la forte droitisation du
Crif, concrétisée entre autres par l’entrée dans son comité directeur de
personnalités aux opinions radicales. Mais qui représente véritablement le Crif
et combien sont-ils en son sein ? On ne le saura jamais. Ce qui compte,
cest qu’il est perçu comme un lobby (mot horripilant en France) par les
politiciens. Et considéré comme tel, il l’est bien, un lobby, en fait. Ceux qui
s’agglutinent à son dîner croient vraiment qu’il joue un rôle important dans la
machine électorale. On y vient à la pêche aux voix juives, et pour être
adoubé par des juifs dont l’influence serait déterminante, en raison de la
place qu’ils occupent, ou sont censés occuper, dans la société française. De
cet appui ne bénéficieront bien sûr que ceux qui soutiennent le plus Israël et
qui donnent des gages clairs dans le combat contre l’antisémitisme. Un combat
certes indispensable, mais qui mériterait de n’être pas instrumentalisé pour
faire accepter toute politique israélienne, y compris la plus blâmable.
Projetant sur la scène française ce qui se passe entre Israéliens et
Palestiniens au Proche-Orient, le Crif ne manque aucune occasion pour appuyer
la politique antimusulmane du gouvernement. En revanche, il a ses bons
musulmans, comme Israël a ses bons Palestiniens, les seuls avec qui il daigne
«dialoguer». Aussi peu représentatif quil soit, le Crif est sans doute au
diapason des positions de bien des juifs français, de plus en plus
conservateurs politiquement, supporteurs inconditionnels d’Israël en toute
circonstance et se réfugiant dans la mémoire de la Shoah et dans la
dénonciation de l’antisémitisme, qui vont de pair. Celles-ci, forces
rassembleuses indéniables, contribuent surtout à la survie d’un judaïsme qui le
plus souvent s’y résume, ayant par ailleurs grandement perdu sa pratique et la
conscience de ses valeurs essentielles. Qu’est-ce que le Crif sinon un
groupuscule endogamique qui se donne des airs de petit Etat indépendant,
agissant à sa guise, faisant plier les uns et les autres, tant par le biais de
l’autocensure, sensible chez bien des journalistes, craignant à juste titre d’être
soupçonnés d’antisémitisme dès qu’ils oseront critiquer la politique
israélienne, que par l’instrumentalisation de la culpabilité de la Shoah
intériorisée par la classe politique ? Le pouvoir imaginé que cette
minuscule institution a su se fabriquer se retourne hélas contre les juifs
eux-mêmes, et d’abord contre ceux qui ne se reconnaissent nullement en elle. Il
génère à son tour de l’antisémitisme et offre des arguments, certes fallacieux,
à ceux qu’obsèdent les vieux thèmes bien rôdés du pouvoir juif, du complot
juif. La «servilité» de circonstance des professionnels de la politique face au
Crif vient renforcer les anciens préjugés.
Cette foi trop partagée dans la puissance des juifs et de leurs
instances représentatives n’augure rien de positif. Le dîner du Crif enfin déserté,
ses menaces ramenées à leur juste proportion de dangerosité réelle, voilà des
mesures prophylactiques qui seraient susceptibles d’enrayer en partie une
hostilité antijuive se nourrissant de fantasmes.
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