Salah Hamouri franco-palestinien, prisonnier d'Israël
Je vous ai entretenu, sur ce blog, de Salah Hamouri, franco-israëlien détenu sans motif dans une prison d'Israël, état raciste qui se moque des condamnations de l'ONU. Vu le nombre d'internautes,intéressé par le sort de ce prisonnier, je suis contente de pouvoir vous donner de ses nouvelles. La presse dite libre en France fait silence sur ce citoyen puisqu'il n'intéresse pas le Premier Citoyen de France! "Voici" pourrait s'intéreser à ce récit, on est de plein pied dans un polar. C'est à la mode les polars, n'est-ce-pas? Et "Voici" gagnerait des galons pour avoir pris la défense d'un citoyen français qui, jour après jour, année après année, sait ce qu'est l'extrême-droite israëlienne soutenue pas un des prix Nobel de la Paix. Mais que valent ces prix si les lauréats ne sont pas illustres dans le domaine qui les a fait primer?
Jean-Claude Lefort Le 28 avril 2010
Gilboa, le 14 avril 2010 , « Un cimetière à numéros »…
Il fait beau ce mercredi matin 14 avril où je vais rencontrer, pour la
troisième fois, Salah Hamouri dans sa prison de Gilboa. Le rendez-vous est fixé
à 11 heures, grâce au Consul de France à Haïfa, Monsieur Jean-Christian Coppin.
Nous partons ensemble en voiture depuis les hauteurs de Haïfa, une ville
lumière que lèche une mer d’un bleu profond.
Le Consul a pris avec lui trois livres pour les donner à Salah ainsi que deux
lettres. Nous roulons dans un environnement fait de champs qui semblent très
fertiles et puis, toujours cette désagréable impression, la prison grise surgit
d’un seul coup. Contrairement aux fois précédentes, il n’y a personne sur le
parking : les familles de prisonniers ont en effet décidé de faire grève, avec
les prisonniers eux-mêmes, pour protester contre le fait que les détenus issus
de la bande de Gaza n’ont droit à aucune visite depuis très longtemps. La grève
est suivie à 100%.
Avec le Consul nous allons vers une porte « réservée » mais blindée où l’on
nous attend. Ouverture et fermeture des portes métalliques. Bruit sourd. On
donne nos pièces d’identité et nos portables téléphoniques au surveillant. On
passe sous un détecteur puis nous voilà dans une petite cour. Le Consul donne
les trois livres et les lettres au gardien qui nous accompagne. Ils devront
d’abord être lus avant d’être donnés, peut être, à Salah. Le Consul précise que
ce ne sont pas des livres politiques. Le tout disparaît de notre vue et l’on
nous dirige vers une pièce dans laquelle se trouvent des sièges en bois avec
des rabats pour écrire. Salah apparaît sourire aux lèvres. Je l’embrasse
fortement…
Il s’assied et pose un petit bloc de papier où toute une page est écrite. Il me
dit d’emblée qu’il a préparé ce rendez-vous avec ses compagnons d’infortune. Il
veut me dire des choses précises mais aussi me demander des informations.
Il veut soulever 6 points. Je l’écoute et je prends des notes. Son premier
point, ce sont les conditions de détention dans la prison. Il repose la
question des livres qu’on refuse absolument aux prisonniers depuis plusieurs
mois. L’administration pénitentiaire a même trouvé une nouvelle « astuce »
devant les protestations d’avoir droit à des livres et de lire. Elle a proposé
aux prisonniers une liste de livres non-politiques parmi lesquels ils
pourraient choisir. Un libraire israélien les fournirait leur a-t-on dit. Ils
l’ont fait. Ils ont choisi.
Salah a choisi quant à lui un roman de Tahar Ben Jelloun. Il ne l’a toujours
pas. Aucune explication. Aucun prisonnier n’a reçu le moindre livre commandé à
partir d’une liste pourtant préparée par l’administration pénitentiaire. Salah
revient avec insistance sur ce point. C’est un vrai lavage de cerveau, dit-il.
« A notre souffrance générale ils ajoutent une souffrance collective
particulière. Ils veulent nous couper du monde », assène-t-il. Et cela est vrai
dans toutes les prisons. « Il faudrait faire campagne contre cela » dit-il.
Puis il enchaîne sur les « droits de visite ». Il dit qu’il est contraire à la
4ème Convention de Genève de transférer des populations. Je l’arrête, étonné,
pour lui demander d’où il tient ses sources concernant les Conventions de
Genève. « Nous avons cela dans la bibliothèque », me répond-il. Et il insiste
sur les prisonniers issus de Gaza. « Il y a environ 8.000 prisonniers
palestiniens aujourd’hui, dont 1.000 de Gaza. Ils ne peuvent recevoir aucune
visite. On nous dit que c’est à cause de la capture de Gilad Shalit, détenu dans
un lieu inconnu. Mais c’est faux car cela était vrai avant qu’il soit capturé.
Ils n’avaient pas droit aux visites bien avant. Alors ? Pour les prisonniers de
Cisjordanie, poursuit-il, ils n’ont droit de voir qu’une personne. Pas deux. Si
bien que des enfants en bas âge sont obligés de venir seuls pour voir leur père
ou leur mère. Parmi les prisonniers il y a aussi ceux de Jérusalem. Ils sont
300. Et il y a aussi 200 « arabes israéliens ».
C’est contre cette situation qu’ils sont en grève et les familles
solidairement. Et ils entendent continuer, sous d’autres formes encore, malgré
toutes les menaces qui pèsent sur eux. Une grève de la faim est envisagée.
Il parle des « malades et des enfants emprisonnés ». Il y a environ 300 à 350
enfants emprisonnés. Ils sont traités comme des adultes. Rien de particulier
pour eux dans ce « monde » spécial. Ils sont perdus. Ils ne comprennent rien.
L’un d’entre eux vient d’être libéré. « Il avait 12 ans et il était en prison
depuis l’âge de 9 ans. Comment est-ce possible ? » Il demande : « Est-ce qu’au
moins l’UNICEF est informée de cette situation et fait quelque chose ? » Je ne
sais que répondre…
Il enchaîne sur les malades. « Tous les soirs, raconte-t-il, un docteur passe
dans les cellules pour demander aux prisonniers si tout va bien. Quelque soit
le mal ou le symptôme dont vous vous plaignez, on vous donne de l’aspirine.
C’est tout. Toujours de l’aspirine. C’est ainsi que 18 prisonniers ont le
cancer et n’ont pas été soignés autrement qu’avec de l’aspirine. On refuse de
les libérer même dans ce cas alors qu’ils sont en fin de vie. On les estime
trop dangereux car ils n’ont plus rien à perdre… Dans ma cellule il y a un
aveugle. Il a 25 ans. Il est traité comme les autres. » Ils demandent que des
médecins palestiniens puissent venir les consulter. Seuls les dentistes sont
des Palestiniens.
Il m’interroge alors sur la campagne contre le mur et sur Bil’in. Je lui
raconte ce qui se fait.
Il me demande pourquoi la résistance n’est pas généralisée. Il est très clair :
« Devant la situation actuelle et l’échec des négociations politiques nous
n’avons pas d’autre choix que celui de la résistance. Il faut élargir le
mouvement et lutter avec l’aide de tous ceux qui dans le monde se mobilisent
pour la Palestine. Les Etats étrangers doivent faire cesser cette occupation
qui se moque des lois internationales. Celles-ci doit être appliquées, à
commencer par la résolution 194 avec le droit sacré au retour des réfugiés.
Aujourd’hui le peuple palestinien est confronté à un gouvernement d’extrême
droite des plus racistes qui utilise tous les moyens pour détruire l’objectif
d’un Etat palestinien. On le voit avec ce mur d’apartheid qui est un mur
politique visant à tracer unilatéralement les frontières afin d’effacer l’idée
d’un véritable Etat palestinien. Ils veulent renforcer leur slogan historique :
« La Palestine est une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». La
colonisation continue. Surtout à Jérusalem. Ils veulent vider notre capitale
pour que Jérusalem devienne effectivement la capitale de l’Etat sioniste. Ce
qui se passe à Jérusalem est un nettoyage ethnique. Et le gouvernement
israélien vient de prendre la décision d’expulser les Palestiniens qui ne sont
pas enregistrés par l’administration israélienne. Cela vise les habitants de
Gaza mais aussi de Cisjordanie ainsi que les internationaux qui se mobilisent à
nos côtés. Ils se livrent à un véritable génocide politique. » Je ne pourrai
pas lui dire, et pour cause, que l’ONU vient de condamner cet ordre militaire
israélien numéro 1650. Verbalement…
Salah a un discours charpenté. Il est moins « tendu » que les fois précédentes
où je l’ai rencontré. Il fait des analyses politiques. Presque sereinement. En
tout cas froidement.
Il parle maintenant du rapport Goldstone qui reste sans suite réelle et du
siège de Gaza qui est illégal et dur. Encore une preuve pour lui de la
différence de traitement dont bénéficie la politique israélienne qui n’encoure
jamais d’actes fermes de la communauté internationale à son endroit pour que le
droit international soit respecté.
Il reparle alors de la solidarité qui se manifeste vers lui et les prisonniers.
Il me dit que sans cette solidarité « Notre sort et notre existence seraient
inconnus. Les prisons israéliennes nous les appelons « des cimetières à numéros
». Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que cette solidarité nous apporte et je
n’aurai jamais des mots assez forts pour vous le dire. Grâce à vous ils sont
obligés de parler de nous. On parle de nous. C’est considérable ! »
Il en vient à son cas personnel. Nous parlons déjà depuis plus d’une heure et
demie… Il me dit « officiellement » qu’il se refuse, dans le cas d’une
procédure de remise de peine, à présenter des « excuses. Ni directes ni
indirectes ». Il parle d’excuses « indirectes » car l’idée avait existé que son
avocat en présente à sa place en quelque sorte. Il refuse cela. « Ce n’est pas
à moi de présenter des excuses mais aux autres, en face. Moi je n’ai rien à
regretter. Je suis fier de mon peuple et de sa résistance contre l’occupation.
» Je lui demande de préciser ce qu’il entend par « Je viendrai en France » afin
de lever toute interprétation. Il me redit qu’une fois libéré il compte bien
venir en France, en effet, mais pas pour y vivre durablement. » Aucune autre
interprétation n’est possible sur ce point. Et il me dit en me regardant droit
dans les yeux : « Je ne comprends pas pourquoi Nicolas Sarkozy ne fait rien
pour moi qui suis pourtant aussi Français ». Je souris. Jaune…
Puis il reparle des autres mais plus de lui. Il a réfléchi, avec ses camarades,
à des idées pour aider les prisonniers.
Il se demande comment mettre en place une aide spécifique et solidaire pour les
enfants de prisonniers. Imaginer des actions avec les Centres culturels
français ? On parle de cela. On imagine. On va voir… Il dit qu’il faut trouver
les moyens pour que les prisonniers qui sortent soient pris en charge
psychologiquement. De même il pense que des prisonniers qui sont libérés et qui
possèdent des diplômes devraient pouvoir être aidés pour poursuivre leurs
études, peut être à l’étranger ? Il me parle d’une idée : pourquoi ne pas
filmer un enfant de prisonnier durant plusieurs semaines pour montrer sa vie.
Quand il va et sort de l’école, sans la présence de son père à la maison ni
devant l’école. Comment il doit se lever très tôt pour aller tout seul lui
rendre visite en prison au milieu des adultes. « Ce serait bien de montrer
comment vivent les enfants de prisonniers. » On parle de tout cela, dans les
détails.
Deux heures se sont déjà écoulées depuis le début de notre entretien. Il va
falloir que nous nous quittions. On se lève. Je l’embrasse encore très fort. On
se salue par signes de la main tandis qu’il avance vers une porte derrière
laquelle il rejoindra sa geôle. Il me lance une dernière phrase : « Il faut
dire à ma mère que les visites reprendront le 2 mai ! ». Le message sera
transmis le soir même mais finalement ce sera le 9 mai. La lourde porte se
ferme derrière lui. Nous sortons de la prison. Le soleil est toujours là pour
nous. Mais toujours pas pour lui…